L'optimisation du patrimoine immobilier des collectivités, un levier clé pour préserver les finances publiques locales
Dans le contexte actuel de redressement des comptes publics, les collectivités doivent identifier des pistes d’économies pour conserver leurs capacités d’investissement et soutenir leurs charges de fonctionnement.
Il existe une solution à fort potentiel d'économies, encore peu exploitée et qui pourrait faire consensus d'autant plus que les collectivités prennent progressivement conscience des enjeux associés : l'optimisation du patrimoine immobilier des collectivités.
Un levier d'économies sous-estimé
Étonnamment, cette piste est rarement abordée dans les discussions actuelles. Pourtant, des études stratégiques menées sur les patrimoines immobiliers de grandes villes, métropoles, conseils départementaux et régionaux (via des schémas directeurs immobiliers) révèlent des marges d’économies considérables. Ces études montrent que, au niveau national, au moins 1,5 milliards d'euros de recettes pourraient être générées sur 5 ans grâce à la valorisation du patrimoine sous-exploité. De plus, 2 milliards d’euros d’économies annuelles pourraient être réalisées sur les charges de fonctionnement qui constituent un véritable enjeu en raison de leur croissance : loyers, factures énergétiques, entretien courant, nettoyage, sécurité, taxes et assurances. Il s'agit là d'estimations prudentes ; il serait possible d’aller bien au-delà.
Ces économies pourraient être atteintes sans affecter le service public ni dévitaliser les territoires, en ciblant les bâtiments administratifs et logistiques, ainsi que les logements mis en location (patrimoine de placement) et fonciers sous-exploités.
Certaines collectivités pionnières ont déjà pris cette voie, avec des résultats probants, mais cela reste peu valorisé sur le plan politique et médiatique.
Immobilier : un enjeu majeur pour les collectivités
L’immobilier constitue le second poste de coût pour les collectivités, juste derrière la masse salariale. Le patrimoine d'une collectivité peut varier d’une poignée de biens pour les petites communes à plusieurs milliers pour les conseils départementaux ou les métropoles. Cette diversité, qui inclut des bureaux, des bâtiments scolaires, des installations sportives, des structures sanitaires et sociales, des équipements culturels, des logements, des commerces, des hangars, des édifices de culte, et même des espaces naturels et aménagés, reflète la richesse des services publics. Mais elle pose aussi un défi immense en matière de gestion efficace et optimisée.
Les enjeux sont doubles :
- Réduire les dépenses liées aux investissements et aux coûts de fonctionnement.
- Identifier de nouvelles sources de recettes, qui pourraient non seulement couvrir l’entretien du patrimoine, mais aussi soutenir les politiques publiques.
Ces objectifs deviennent d'autant plus cruciaux lorsque l'on réalise les marges de manœuvre importantes révélées par les études menées dans le cadre des schémas directeurs immobiliers. Ces études, déjà engagées par plusieurs collectivités conscientes du poids croissant de l'immobilier dans leurs dépenses, montrent que des économies significatives peuvent être réalisées, aussi bien sur le bâti que sur les actifs non bâtis.
Prenons l'exemple d'une ville de plus de 100 000 habitants : le seul patrimoine de bureaux occupé par les agents municipaux peut engendrer des charges de fonctionnement annuelles comprises entre 10 et 50 millions d'euros. À ces montants, s'ajoutent des dépenses d'investissement, variables selon les années, avec une part récurrente liée à l’entretien lourd qui oscille entre 5 et 30 € par m² chaque année, en fonction de l’état des budgets immobiliers alloués. À cela s’ajoutent des coûts potentiellement élevés pour les opérations de rénovation, réhabilitation ou construction, souvent financées par des subventions, des emprunts ou des plans d’investissement massifs.
Et ce n’est que pour les bureaux, qui ne représentent généralement qu'environ 20 % des surfaces du patrimoine total d'une collectivité.
Un potentiel sous-exploité
Malgré ces enjeux, le récent rapport de la Cour des comptes sur les finances locales ne mentionne pas de mesures spécifiques pour optimiser le patrimoine immobilier des collectivités. Pourtant, dès 2013, la même Cour soulignait déjà le potentiel d’une gestion plus dynamique de ce patrimoine. En 2016, l'Inspection Générale des Finances (IGF), dans son rapport sur le patrimoine des collectivités territoriales, et en 2017, le Conseil de l’immobilier de l’État, dans sa publication conjointe avec l'ADI intitulée "La gestion du patrimoine immobilier public", exprimaient leur surprise face à la sous-estimation persistante de ce levier stratégique. En 2024, le constat reste inchangé : l’immobilier public demeure un levier sous-exploité, pourtant capable de contribuer à la réduction des dépenses publiques, mais aussi à la transformation des modes de travail au sein d'une administration en quête d'attractivité, et à la réussite de la transition écologique. En effet, l’immobilier est la première source de consommation d'énergie et la deuxième cause d’émissions de gaz à effet de serre dans le fonctionnement des collectivités.
Schéma directeur immobilier : un outil essentiel
L'une des clés de l'optimisation du patrimoine immobilier repose sur la mise en place de schémas directeurs immobiliers (SDI). Ces études stratégiques, qui peuvent durer entre 6 et 18 mois, ont pour objectif principal de réaliser un diagnostic du patrimoine immobilier afin d'en déterminer les points forts et les points faibles, tout en identifiant ses potentialités. Parallèlement, un recueil des besoins est effectué auprès des directions utilisant ce patrimoine pour assurer leurs missions.
Les SDI visent ensuite à projeter sur un horizon de 5 à 10 ans les évolutions du parc, bien par bien (relocalisation, valorisation, cession, maintien en l’état, etc.), assorties d’une feuille de route opérationnelle et d’un plan pluriannuel d’investissement associé.
Ces schémas permettent de prendre conscience du poids que représente l'immobilier dans les dépenses de la collectivité, de mieux comprendre son utilisation et, par conséquent, de mettre en place une méthodologie d'analyse et de pilotage durable du patrimoine immobilier des collectivités. Cela facilite les prises de décisions d'investissement qui peuvent engager les collectivités sur des décennies.
De plus, les SDI permettent d’objectiver la situation et de faire émerger les besoins « réels » en financement, souvent éloignés des chiffres annoncés par les services techniques, qui peuvent parfois présenter des montants considérables calculés à la volée.
Ce type de démarche est déjà engagé dans certaines collectivités, avec des résultats spectaculaires en termes de réduction des coûts et de valorisation du patrimoine.
Exemple de gestion optimisée
Prenons l’exemple d’une grande métropole qui, il y a deux ans, a entrepris une gestion plus durable et responsable de son patrimoine, suite à un rapport régional de la Cour des comptes fustigeant sa gestion patrimoniale. Elle s’est d’abord concentrée sur les bureaux administratifs, les logements, les commerces et certains terrains constructibles. Un schéma directeur immobilier a été réalisé en un an et demi, révélant au Président, aux élus et à la direction générale des services des marges d’économies considérables.
La métropole occupait plus de 100 implantations de bureaux, souvent sous-utilisées, vétustes et coûteuses. Après une étape de recueil des besoins auprès des directions et élus, qui a permis de mettre à plat les besoins de chacun et d'identifier des synergies, des scénarios d'évolution de ce patrimoine ont été projetés et un arbitrage a été rendu. La collectivité a pris la décision de réduire de moitié ses implantations à horizon de 5 ans en regroupant les directions qui en étaient demandeuses. À la clé, plus de 20 baux résiliés pour une économie annuelle de 6 millions d’euros, la valorisation de 20 bâtiments dont la plupart en plein centre-ville, générant près de 40 millions d’euros de recettes. Les directions sont regroupées dans des locaux modernisés, avec des charges de fonctionnement divisées par deux et une consommation d’énergie réduite de 30 %, contribuant ainsi par la même occasion à l'atteinte des objectifs du décret tertiaire par le seul levier de la sobriété.
Il est à noter que le schéma directeur immobilier a été voté en conseil métropolitain et est actuellement en cours de mise en œuvre.
Une fonction immobilière à structurer et renforcer pour ancrer le changement
Les études immobilières menées au sein de grandes collectivités ces dernières années ont permis de repérer des axes d’amélioration organisationnels, rappelés dès 2013 par la Cour des comptes, et qui peuvent transformer durablement la gestion du patrimoine immobilier.
- Structurer la fonction immobilière pour plus de cohérence : une des premières pistes pour ancrer un changement pérenne consiste à centraliser la fonction immobilière au sein d'une direction unique. Actuellement, cette fonction est souvent morcelée entre plusieurs directions, ce qui peut limiter l’unité des décisions et le partage d’informations et de compétences. En regroupant les activités immobilières sous une même structure, les collectivités pourraient renforcer la coordination des équipes et optimiser leurs ressources. Par exemple, la collectivité citée ci-dessus avait initialement 11 directions pour gérer différents inventaires de biens bâtis et non bâtis. Elle a décidé de mutualiser les effectifs, permettant ainsi d'améliorer la visibilité et la clarté des responsabilités, tout en équilibrant les équipes et en préservant les compétences clés.
- Renforcer la gouvernance et l’animation : la mise en place d’une instance de gouvernance unique est également un levier essentiel. En offrant une vision stratégique consolidée de l’état du parc, des budgets et des moyens humains affectés à l'immobilier, une telle instance permettrait d’optimiser la gestion du patrimoine. Elle faciliterait également les prises de décision en évitant la gestion trop autonome de certaines directions, ce qui garantirait que les services immobiliers soient associés en amont aux projets. De plus, cette instance favoriserait la transversalité et les synergies nécessaires pour relever les défis actuels : évolution des modes de travail, développement durable et digitalisation.
- Mettre en place des outils de pilotage : dans de nombreuses collectivités, les informations sur le patrimoine sont dispersées entre plusieurs bases de données et outils non interconnectés, ce qui rend le suivi complexe. La mise en place d’un référentiel unique, avec une véritable organisation des acteurs en charge du suivi derrière, offrirait une vision partagée de l’état des biens, facilitant le partage d’informations entre les directions et l’animation d’une connaissance transversale et actualisée du patrimoine. Cela constitue un pilier solide pour la prise de décision et la planification des projets.
Certaines collectivités pionnières montrent déjà l’exemple en regroupant les effectifs dédiés à l’immobilier au sein d’une seule direction, en mettant en place un dispositif de labellisation des projets et en instituant une instance de gouvernance trimestrielle pour suivre les projets prioritaires et l’avancement du SDI. Ces bonnes pratiques, orientées vers une gestion unifiée et proactive, offrent des modèles inspirants pour ancrer une transformation durable au sein de toutes les collectivités.
Conclusion
L'optimisation du patrimoine immobilier des collectivités représente un levier d’économies sous-exploité, mais aux marges de manœuvre réelles. Si cette démarche est encore peu valorisée, elle pourrait jouer un rôle central dans le maintien des capacités d’investissement et la transformation des administrations publiques face aux enjeux budgétaires et écologiques.
Au regard de l'ampleur des dépenses publiques impliquées, trois mesures pourraient être envisagées pour optimiser la gestion de l'immobilier des collectivités :
- L’obligation de réaliser un Schéma Directeur Immobilier (SDI) à l'image de ce qui est mis en place au sein de l'État. En effet, chaque ministère et opérateur de l'État (il y en a plus de 500) est tenu d'élaborer un SDI tous les cinq ans, sous peine sinon de ne pas avoir de financement pour les projets immobiliers.
-
La création d'une direction de l'immobilier a minima au sein des métropoles et conseils départementaux qui centraliserait les compétences et les ressources liées au bâti et non bâti, permettant une meilleure coordination des équipes, une homogénéisation des pratiques et un partage efficace des savoir-faire.
- La création d'une structure dédiée, qui aurait pour mission d’impulser des initiatives, de diffuser des bonnes pratiques et de favoriser une dynamique collective, répondant ainsi aux besoins exprimés par les directions de patrimoine des collectivités. Elle pourrait s’inspirer de la Direction de l'Immobilier de l'État (DIE), qui à travers son rôle d'animation de réseau, a déjà permis d’obtenir des avancées significatives au sein des ministères et de leurs opérateurs. Actuellement, dans le secteur des collectivités, cette dynamique repose principalement sur des enseignants-chercheurs spécialisés dans le management public local, des structures d'expertise et de recherche comme le CEREMA dont nous saluons l'action, des associations ou encore des cabinets de conseil.